L’usage de la ponctuation est loin d’être anecdotique. Tout comme on n’imaginerait pas laisser de côté la virgule, le point, ou les points de suspensions, il serait dommage de se priver du point-virgule. En effet, il peut donner une nouvelle dimension aux phrases.

Les Bases

Si nous nous intéressons à la sacro-sainte bible des grammairiens, la GMF (Grammaire Méthodique du Français), elle dit que le point-virgule est : « une virgule renforcée ou un point allégé ».

D’accord, mais où est-ce que ça nous emmène tout ça ?

Pour reformuler l’expression de la GMF, un point-virgule exige une pause significative, plus longue qu’une virgule, mais sans arrêter la phrase. Il ne peut pas s’employer entre un sujet et son verbe, ou un verbe et son complément par exemple.

Si on peut écrire :

« Il arriva en grande pompe, au milieu des applaudissements. »

On ne peut pas écrire :

«*il arriva en grande pompe ; au milieu des applaudissements. »

La pause est trop importante et gêne la compréhension.

 

Néanmoins, le point-virgule est un bon moyen de gagner en lenteur, et donc en gravité ; ou alors de construire des phrases plus conséquentes sans épuiser le lecteur (comme celle d’avant – du moins je l’espère).

 

Du bon usage du point-virgule

Usage 1 : Pour séparer différentes propositions (c’est-à-dire des groupes centrés autour de verbes conjugués)

Voici un premier exemple d’usage du point-virgule :

Ex 1 : Sous le choc, il eut tout de même le réflexe de prendre son verre et de boire un peu d’eau ; la lumière très vive de la pièce l’éblouissait ; il sentait sa tête tourner.

On observe pour l’ex 1 que le point-virgule permet de créer un rythme ternaire qui fait toujours son petit effet en passant. Ce rythme ne serait absolument pas présent avec uniquement des virgules :

Ex 1b : Sous le choc, il eut tout de même le réflexe de prendre son verre et de boire un peu d’eau, la lumière très vive de la pièce l’éblouissait, il sentait sa tête tourner.

Entre nous… C’est assez moche, non ? Là on n’a pas du tout la séparation entre les différentes parties de la phrase, alors c’est très désagréable à lire. Parfois cela peut faire un effet « brouillon » recherché, mais il faut savoir s’arrêter.

EX 2 : Je me tourne vers lui ; je le regarde. Auparavant je croyais ne pas savoir quoi dire ; maintenant, les mots me montent à la gorge sans que je le leur demande.

De nouveau, le rythme apparait bien plus clairement grâce au point-virgule. On sent bien l’effet « pause dramatique » mais on peut aussi utiliser le point-virgule dans la vie de tous les jours.

Usage 2 : pour séparer des groupes de mots de natures similaires (différents compléments entre eux par exemples, ou différents sujets)

Ex: D’abord entrèrent les rats d’opéra, rieuses et rougissantes ; puis les danseuses plus expérimentées, aux fronts hauts ; puis les danseurs hommes ; et enfin, quand la salle fut au comble de l’attente, la magnifique, la prestigieuse, l’extraordinaire cantatrice.

Ici, je trouve qu’on sent bien que :

1) le point-virgule aide à l’énumération de groupes nominaux assez longs, parce que sans lui tout serait brouillon ;

2) la virgule et le point-virgule se répondent. À l’intérieur des morceaux délimités par les points-virgules, il est possible de faire d’autres découpages comme « la magnifique, la prestigieuse, l’extraordinaire cantatrice ».

Pour résumer

Le point-virgule permet donc les effets suivants :

– Il peut créer un rythme dans la phrase.

– Il permet de hiérarchiser des ensembles et des sous-ensembles (qui eux sont entre virgules).

– Il aide à donner une nouvelle ampleur à la phrase qui peut devenir plus longue en restant compréhensible.

– Il peut produire un effet dramatique, induire une certaine gravité avec sa pause plus longue que celle de la virgule.

 

Le point-virgule vu par les maîtres

Comme pour le dessin, le travail de l’écriture passe par la pratique, la patience… Et l’imitation. Je pense qu’on a tous en tête l’image d’un étudiant ou d’une étudiante en art devant un tableau en train de pieusement le recopier sur son cahier de croquis pour en percer les mystères. C’est la même chose pour nous, la communauté des auteurs. Regarder l’exemple qu’ont laissé derrière eux des écrivains émérites nous aide à progresser.

Je finis donc sur une petite liste de citations sur lesquelles se pencher pour porter votre inspiration !

Ainsi tout change, ainsi tout passe ;
Ainsi nous-mêmes nous passons,
Hélas ! sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s’efface.(Lamartine, “le golfe de Baya”, Méditations poétiques)

 

 

Là-bas, c’est l’abbaye Saint-Martin, chanteuse aigre et fêlée ; ici, la voix sinistre et bourrue de la bastille ; à l’autre bout, la grosse tour du Louvre, avec sa basse-taille. (Hugo, Notre Dame de Paris)

 Monsieur Bauguin fit signe à la vieille femme qui portait la coiffe en pointe sur le front ; elle s’inclina et alla chercher les gaufrettes entourées d’ébène. (Quignard, Tous les matins du monde)

La voix monte, aiguë, indécente dans la tiédeur du coin relax-silence : « salaud ! Salaud » ; « Je le reprendrai ! De gré ou de force ! » ; sa souffrance ne l’humanise même pas. (Beauvoir, Les Belles Images)

 

 

 Cette fois elle se donne à sa colère ; un ouragan se déchaîne dans sa poitrine, il secoue toutes ses cellules, c’est une douleur physique, mais on se sent vivre. (Beauvoir, Les Belles Images)

 

Cette leste voiture était conduite par un homme en apparence soucieux et maladif ; des cheveux grisonnants couvraient à peine son crâne jaune et le faisaient vieux avant le temps ; il jeta les rênes au laquais à cheval qui suivait sa voiture, et descendit pour prendre dans ses bras une jeune fille dont la beauté mignonne attira l’attention des oisifs en promenade sur la terrasse. (Balzac, La Femme de trente ans)

Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint. (Proust, À la recherche du temps perdu, tome 1, Du côté de chez Swann)